Pourquoi l’Afrique ne sera plus aux derniers rangs du classement Doing Business de la Banque Mondiale?
Le 16 septembre 2021, la Banque Mondiale a annoncé qu’elle ne publierait pas son classement annuel « Ease of Doing Business » ou « Indice de facilité des Affaires ». Ce classement, qui portait sur 190 pays, a été publié chaque année de 2002 à 2020, et l’Afrique, en particulier l’Afrique francophone, a souvent porté le bonnet d’âne…
Qu’est-ce que le classement Doing Business?
L’indice Doing Business avait pour objet d’établir un comparatif entre les pays du monde basé sur la facilité d’y faire des affaires, en déterminant si l’environnement réglementaire y était propice. Pour établir ce classement, la Banque Mondiale s’appuyait sur les avis d’autorités publiques, d’universitaires, de praticiens et d’observateurs. Il évaluait différents critères, notamment la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le raccordement à l’électricité, le transfert de propriété, l’obtention de prêts, la protection des investisseurs minoritaires, le paiement des taxes et impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution des contrats et le règlement de l’insolvabilité.
Le classement Doing business a longtemps été une référence pour les investisseurs ou entrepreneurs, avec un véritable effet persuasif ou dissuasif pour les conducteurs de projets. Il impactait significativement l’image des pays et était fébrilement attendu, repris par la presse nationale et internationale, et, grâce à la publicité dont il bénéficiait, poussait les États à adopter des réformes visant à améliorer le climat des affaires dans leurs pays.
L’Afrique en queue de classement
Si l’on pouvait trouver en tête de gondole Singapour, la Nouvelle-Zélande ou encore les États-Unis, l’Afrique a peu brillé dans les classements Doing Business. En se penchant par exemple sur le classement de 2015 qui portait sur 189 pays, on trouve 44 pays africains (sur 53 classés) après la barre des 100. Certains pays, comme l’Afrique du Sud et le Rwanda, qui occupent respectivement les 43e et 46e places, sauvent la mise. D’autres comme la Tunisie, le Ghana, le Maroc ou le Bostwana figurent entre les 60e et 100e places. Mais l’Afrique subsaharienne dite francophone apparaît en toute queue de classement, faisant son entrée à la 144e place avec le Gabon. Suivent entre autres le Mali à la 146e place, le Cameroun à la 158e, et, en toute queue de classement, la Centrafrique, la Lybie et l’Erythrée.
Différentes raisons expliquaient le retard de l’Afrique : l’instabilité qui caractérise souvent les régimes politiques depuis les indépendances, des institutions fragiles et un état de droit difficilement garanti, et en conséquence un environnement marqué par la corruption. La tradition juridique inspirée du droit français, réputé plus bureaucratique et moins souple que celui des pays du Common Law, peut également constituer un élément d’explication pour les pays d’Afrique dite francophone.
Mention spéciale au Togo qui dans le dernier classement paru en 2020 a réalisé un bond de 40 places, en se plaçant avant la barre des 100, soit à la 97e place. Ce bond s’explique par cinq réformes réussies pour l’amélioration du climat des affaires, notamment la facilitation des procédures de création d’entreprises ou la réduction des coûts et des délais d’obtention des permis de construire.
Dans ce dernier classement de 2020, la tendance était aussi à la progression pour d’autres pays : par exemple, la Côte d’Ivoire figurait à la 110e place (contre la 146e en 2015), le Sénégal à la 123e place (contre la 161e en 2015).
L’arrêt de la publication du rapport
Le 16 septembre 2021, la Banque Mondiale a annoncé l’arrêt de la publication du rapport « Doing Business », suite à une enquête indépendante ayant révélé des irrégularités dans l’établissement du rapport. Cette enquête relève que des pays, notamment la Chine, ont (avec succès) exercé des pressions pour améliorer leur position dans le classement. Ce rapport a également révélé que la Banque mondiale fournissait des prestations de conseil rémunérées à des États afin qu’ils améliorent leur positionnement dans le classement, ce qui avait pour effet de la rendre à la fois juge et partie. L’indépendance de la Banque Mondiale était ainsi fortement remise en cause.
Alors, l’arrêt du classement, une bonne ou une mauvaise chose pour l’Afrique ?
On l’a vu, le classement Doing Business a pu inciter des pays d’Afrique à adopter des réformes salutaires pour améliorer le climat des affaires sur leur territoire, et certains qui avaient enclenché des processus de réformes ont pu être déçus d’être arrêtés en si bon chemin. Cependant, on peut s’interroger sur la mise en œuvre effective de ces réformes : en effet, dans ces conditions, la tentation peut être grande d’adopter des lois pour progresser dans le classement, sans s’assurer qu’elles soient comprises et appliquées par les acteurs institutionnels et économiques. Par ailleurs, le classement était basé sur un modèle d’économie ultra-libérale : l’arrêt de la course aux places pourrait être vu par les pays africains comme l’opportunité de mener une réflexion de fond sur le modèle économique et juridique qui favorisera la diminution de la pauvreté et l’augmentation des débouchés pour la jeunesse, deux questions qui restent cruciales pour le continent.