Médecine traditionnelle au Sénégal: 30 ans d’hésitation législative
Au Sénégal, la majorité de la population a en premier lieu recours à la médecine traditionnelle en cas de pépin de santé. Cette pratique gagnerait donc à être encadrée, or, depuis que l’idée d’adopter une réglementation spécifique a été émise pour la première fois en 1993, aucune loi n’a été promulguée. Comment expliquer ce blocage de trente ans et qu’aurait-on à gagner à avancer sur ce sujet ?
Qu’est-ce que la médecine traditionnelle ?
Selon l’OMS, le terme « médecine traditionnelle » décrit la somme totale des connaissances, des compétences et des pratiques que des cultures autochtones et différentes ont utilisées au fil du temps pour préserver la santé et prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies physiques et mentales. La médecine traditionnelle englobe des pratiques anciennes, comme l’acupuncture, la médecine ayurvédique et les mélanges à base de plantes, ainsi que les médecines modernes. La médecine traditionnelle est donc en grande partie basée sur la connaissance des plantes et de leurs propriétés pharmaceutiques. Par exemple, au Sénégal, on reconnaît à l’acacia des propriétés antiallergiques, antibiotiques et antivermifuges. De même, le tamarin aurait de nombreuses propriétés thérapeutiques, et on l’utilise notamment contre les vomissements et le stress.
La place de la médecine traditionnelle au Sénégal : une stigmatisation au profit de la médecine « moderne »
Dans un monde globalisé, la médecine traditionnelle souffre du dédain des élites politiques et médicales : ainsi la loi sénégalaise du 4 juillet 1966 relative à la médecine la bannit en l’interdisant purement et simplement. En 1993, un comité ministériel met en place un comité chargé de poser les bases d’une réglementation. Le projet de loi n’a vu le jour qu’en 2017, mais, malgré plusieurs annonces, n’a toujours pas été adopté par l’assemblée nationale. Alors que reproche-t-on à la médecine traditionnelle ?
Au Sénégal, la majorité de la population a en premier lieu recours à la médecine traditionnelle en cas de pépin de santé.
Lorsque le projet a été présenté un 2017, l’inter-ordre des professionnels de la santé s’y est vivement opposé, dénonçant le danger que pouvait représenter la médecine traditionnelle pour les populations. On lui reproche notamment son approche méthodologique qui tend à traiter le symptôme au détriment de la cause, sans identification claire du principe actif, ni de définition précise de la posologie, ce qui peut entraîner des effets secondaires. Non réglementée et potentiellement lucrative, la profession est forcément infiltrée par des charlatans, qui, par des pratiques tapageuses, portent atteinte à la noblesse du savoir traditionnel.
Des initiatives en dépit des blocages
En dépit, des blocages, il existe des initiatives, comme l’hôpital traditionnel de Keur Massar, fondé par Dr Yvette Parès (1926-2010), Docteur ès Biologie, Docteur en médecine, chercheur au CNRS et enseignante à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar de 1960 à 1992. Ce centre affiche les objectifs suivants :
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mettre en place une alternative thérapeutique crédible en développant une gamme élargie de médicaments traditionnels améliorés ;
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entretenir et maintenir les connaissances des richesses du patrimoine thérapeutique national ;
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vulgariser les bienfaits de la pharmacopée afin de susciter des vocations ;
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impulser la collaboration entre les différentes médecines.
Par ailleurs, l’organisation Ouest Africaine de la santé a lancé un programme relatif à la médecine traditionnelle, visant à la promouvoir.
Quelles clés pour valoriser la médecine traditionnelle :
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Remédier à l’idée d’un strict cloisonnement entre médecine traditionnelle et médecine moderne : les praticiens des deux médecines pourraient collaborer afin de tirer le meilleur parti de leurs savoirs respectifs et ainsi pouvoir proposer des traitements alternatifs aux produits issus de l’industrie pharmaceutique.
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Valoriser le savoir traditionnel et démystifier les médicaments des multinationales pharmaceutiques : les connaissances des plantes et de leurs vertus thérapeutiques sont issues d’un savoir millénaire qui ne doit pas être négligé et accepté dans toutes ses composantes, y compris mystiques. Il est impératif de se défaire d’une tendance à systématiquement placer les produits industriels pharmaceutiques au-dessus des plantes médicinales. On a désormais suffisamment de recul pour savoir que cette industrie est parfois peu scrupuleuse dans sa course aux profits et que les produits qui en sont issus ne sont pas systématiquement fiables, à l’aune de nombreux scandales comme celui du Médiator, ou plus récemment des opioïdes : cet anti-douleur addictif aurait causé la mort de près d’un demi-million d’Américains par overdose en 1999 et 2018. On peut aussi relever que dans le monde occidental, les patients ont de plus en plus tendance à chercher en premier lieu des remèdes naturels à leurs maux.
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Encadrer la médecine traditionnelle est impératif pour assainir sa pratique : cela permettra d’exclure les charlatans qui dévalorisent ce savoir. L’adoption d’une loi est également le moyen de valoriser le savoir et d’apporter une reconnaissance au rôle des tradipraticiens dans la société. Elle permettra de sauvegarder un savoir millénaire et précieux, qui, s’il est négligé, s’expose à l’oubli.
Un retard sénégalais
Pour l’encadrement de la médecine traditionnelle, d’autres pays d’Afrique ont sauté le pas, parfois depuis un moment, à l’instar du Burkina Faso et du Bénin.
En République démocratique du Congo, la loi de 2018 fixant les principes relatifs à l’organisation de la santé publique reconnaît pleinement la médecine traditionnelle, prévoit sa mise sous tutelle du ministère de la santé qui fixe les conditions d’exercice de la médecine traditionnelle ainsi que les droits et obligations des tradipraticiens.
En août 2022, le ministère de la santé du Sénégal a annoncé l’adoption prochaine de la loi sur la médecine traditionnelle. Peut-être cette fois sera-t-elle la bonne…